TC • Coincé par la neige

Quasiment un mois maintenant... un mois qu'on se croisait sans trop se voir, un mois que mon cœur se déchirait. J'avais annulé ma visite annuelle de Diwali pour rester aux côtés de Cameron... ou plutôt à côté. Mais je ne pouvais pas partir alors que mon couple était au plus mal... et moi aussi par la même occasion.

Après avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, presque tous les soirs dans le canapé, avec un chat ou deux pour seule compagnie, j'ai décidé de me reprendre en main. De nous reprendre en main. Je ne pouvais pas, je ne devais pas laisser les choses ainsi. Notre amour ne pouvait pas, ne devait pas s'effondrer sur lui-même. Ce trou noir qui en découlerait risquerait de m'emporter trop violemment pour pouvoir un jour en ressortir.

Alors j'avais saisi mon portable, et j'avais enfin eu le courage de lui envoyer un message. Ces quelques mots qui, j'espérais, ne resteraient pas sans réponse. "Let's start again. Lounge Bar, tonight". Reprendre là où tout avait commencé. Mais sans pari, cette fois. Ou simplement celui de le reconquérir.

J'attendais nerveusement. Est-ce qu'il allait venir ? Est-ce qu'il allait accepter les mots que je m'aprêtais à lui sortir ? Est-ce que j'arriverais, surtout, à les lui dire ? Est-ce qu'il comprendrait ? Je l'avais blessé, même si je n'avais pas pu imaginer à quel point... à quel point, voilà la vrai question. Et le voilà, lui. Je l'accueille d'un air soulagé, mais un peu inquiet tout de même.

Et puis tout devient noir, noir et silencieux. Au début, je souris, ça va être plus facile comme ça pour discuter, non ? En plus, apparemment, on est coincés là. Je me détends un peu, et lance un sourire taquin à Cameron.

- Pas de chauffage et pas le droit de sortir... Je crois que le destin nous envoie un message...

Enfin, j'espère.

Un mois, c’est long. Il s’en passe des choses en un mois. Pour moi, il ne s’est pas passé grand-chose depuis que j’ai dit à Senthil que je souhaitais qu’on fasse une pause. J’avais passé les trois premières nuits sur le canapé de la coloc chez Seamus et ensuite, j’étais rentré à la maison où Senthil avait d’emblée migré sur le canapé. Il respectait mon besoin d’éloignement, mon envie de solitude. Pourtant, il souffrait, atrocement. Je l’entendais pleurer parfois la nuit et bon sang, ce que ça faisait mal. Plus les jours passaient et plus je regrettais cette pause que je nous avais imposé. Je sais qu’il m’aimait et ce pari n’avait même plus d’importance, c’était surtout ma fierté qui en avait pris un coup, le fait qu’il ne m’ait rien dit pendant tout ce temps, pourtant, aujourd’hui cela n’a même plus d’importance. Quand je l’entends pleurer comme ça, j’ai envie de le serrer dans mes bras et de lui dire que tout ira bien, mais je ne sais pas comment faire, j’aimerais faire le premier pas, mais je n’y arrive pas. Merde, il a quand même annulé une fête de son pays pour rester avec moi tellement il se sent mal.

Cela ne peut plus durer, il faut faire quelque chose, mais quoi ? La réponse vient sous la forme d’un sms qu’il m’envoie. Je regarde le message, court, en même temps, c’est la définition d’un sms, droit au but. Mes mains tremblent un peu tandis que je rédige ma réponse. Je l’aime tellement...je l’ai dans la peau, je le sais...cette pause que je nous ai imposé est aussi douloureuse pour lui que pour moi. Alors que j’allais envoyer la réponse, je suis dérangé par un appel et après y avoir répondu, j’ai complètement oublié le sms. Le soir arrive et c’est là où je me rends compte que j’ai oublié de lui répondre. Pas grave, ma présence là-bas sera la meilleure des réponses.

J’arrive donc sur place. Mon regard aperçoit d’abord cet type...le pote de Senthil avec qui j’avais discuté il y a quelques temps de cela au foodtruck, celui qui avait involontairement foutu la merde entre Senthil et moi. Je ne peux m’empêcher de grogner un peu en le voyant. Heureusement, l’objet de mes espérances arrive enfin devant mon regard. Senthil est là, il semble un peu anxieux. J’avance vers lui. J’allais parler, mais soudain le noir se fait. Je fronce les sourcils, me rapprochant instinctivement de Senthil. Merde, c’est quoi ce délire ? Ah bah bravo, on est bloqué en plus. Un rire nerveux secoue mes épaules aux paroles de Senthil.

- Ah oui ? Tu crois ? Remarque...tu as peut-être raison.

Ma main frôle doucement la sienne comme pour me rassurer sur sa présence à mes côtés.

- Mais du coup, c’est quoi le message ? « Vous êtes trop cons tous les deux, parlez-vous une fois pour toute et arrangez les choses »...quelque chose comme ça ? Lui dis-je avec une petite note d’espoir dans la voix.

Depuis que je suis aux USA, et surtout depuis que j'ai fait des études relativement poussées sur le monde et l'univers en général, je ne sais plus trop en quoi je crois. Toujours est il que la culture dans laquelle j'ai baigné toute ma vie fait que je garde en moi une certaine naïveté en ce qui concerne le destin et le karma. Mon cerveau ne crois pas vraiment en ces choses-là, du moins pas au sens religieux qu'on leur apporte. Mais je suis et je reste profondément Indien, élevé dans la culture hindoue, alors je ne peux pas m'empêcher de penser, contre toute rationalité, que tout cela était comme écrit. Quoi qu'il arrive ce soir, Cameron et moi ne pourrons pas nous extraire l'un à l'autre. On est coincés là pour de bon.

Malgré la panique qui semble s'étaler tout autour, rien d'autre pour moi n'existe pour l'instant que lui. Et je souris. Dans le noir avec des cris autour, je souris. Il se sent presque aussi bête que moi. Est-ce que c'est bon signe ?

- Oui, quelque chose comme ça...

Je lui prends les mains, comme pour lui demander la permission de le prendre dans mes bras. En fait, je me jette littéralement à son cou pour le serrer de toute mes forces. Je ne veux plus jamais qu'il s'éloigne. J'ai aussi une terrible envie de l'embrasser, ses lèvres et son corps m'ont manqué au plus profond de moi, mais comme un idiot, j'ai encore peur qu'il me rejette.

- Préviens moi si le monde s'écroule, parce que là tout de suite, ça n'a pas d'importance.

Il m'a manqué….bon sang ce qu'il m'a manqué. Je n'en dormais quasi plus. Je sais, je ne peux m'en prendre qu'à moi-même, c'est moi qui lui ai demandé cette pause, c'est moi qui ai imposé cette distance entre nous, mais merde, c'est du passé, il m'aime, c'est quand même le plus important, non ? On est plongé dans le noir et j'entends un type hurler. Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais pour être honnête, je n'y pense pas vraiment, tout comme la présence de Knox en ces lieux sort de mes pensées, je ne suis concentré que sur une chose, la présence de Senthil à mes côtés, sa main près de la mienne. Il semble abonder dans mon sens quand je lui parle du "message caché". Un sourire niais prend place sur mon visage. Heureusement que nous sommes dans le noir.
Soudain, il fonce dans mes bras et je referme mes bras autour de lui, comme si j'avais peur qu'il s'échappe. Je sais qu'il n'initiera pas le baiser de lui-même, il doit avoir peur que je le rejette, alors je prends l'initiative. Même dans le noir, je trouve une de ses joues que je caresse doucement.

- Promis…je te le dirais…si jamais je m'en rends compte.

A peine ai-je fini de parler que mes lèvres se déposent doucement sur les siennes et je l'embrasse tendrement, un baiser léger, aérien. Je l'approfondi ensuite. Seigneur…tout m'avait manqué chez lui. J'interromps un instant le baiser. Mes mains sur ses joues, je ne peux malheureusement pas le voir, mais je ne peux m'empêcher de redessiner le contour de son visage.

- Je suis désolé, Senthil…tellement désolé de cette pause que je nous ai imposé…tu m'as tellement manqué. Je veux revenir à la maison…auprès de toi...enfin, si tu es d'accord bien sûr.

Oui, je sais, officiellement je n'ai pas déménagé, mais nous ne partageons plus le même lit et je passe beaucoup plus de temps à la coloc que chez nous, mais aujourd'hui c'est fini, aujourd'hui je veux retourner auprès de l'homme que j'aime, parce que j'en crève de ne plus être avec lui.

Oh, le monde pouvait bien s'écrouler. même littéralement. Il n'y avait plus que lui qui comptait, à ce moment là. Lui, mon monde, mon univers à moi, qui avait faillit partir, voler en éclat, disparaître à jamais ? Si j'ai pu le croire ces dernières semaines, tout s'est effacé d'un coup, au moment où ses lèvres se sont emparées des miennes. Non, à ce moment là, plus rien, plus rien du tout à part lui ne comptait. La neige ? Les gens paniqués ? Un détail.

Ce doux moment finit par prendre fin (il faut bien reprendre sa respiration), mais Cameron se met à déblatérer des excuses qui n'ont plus aucune espèce d'importance. Alors je le rassure, devinant où se trouvait sa bouche que la mienne venait de quitter, pour poser mon doigt dessus.

- Sssht... Tu n'y es pour rien, d'accord ? J'ai merdé, je t'en veux pas... J'ai eu tellement... tellement peur de te perdre...

Je suis interrompu par l'appel d'un gars de la sécurité qui s'efforçait de se faire entendre de tout le monde. Pour toute réaction, je ricane en tentant de réprimer un rire, me rapprochant encore plus de mon homme, me collant ainsi littéralement à lui.

- Oh, qu'il ne s'inquiète pas, je peux tout à fait échanger des heures avec mon voisin.. Où on en était, déjà ?

Je l'embrasse à nouveau, mais cette fois, une légère bousculade nous sépare. Je rattrape sa main in-extremis et l'attire à nouveau dans mes bras.

- Peut-être que le monde est réellement en train de s'écrouler, finalement...

Je tente de regarder un peu autour de moi, mais on n'y voit pas à un mètre. Certains gardent l'écran ou la lampe de leurs téléphones allumés, mais la plupart ont l'air de vouloir économiser leurs batteries.

Je ne sais pas de quoi demain sera fait, on ne le sait jamais de toute manière, ce que je savais en revanche, c’était que je ne voulais plus passer une seule minute loin de Senthil. Déjà là, alors que nous sommes coincés dans un blackout légèrement étrange, je ne me sens rassuré que parce que j’ai la main de Senthil dans la mienne. Est-ce que je serais revenu dans ses bras si cette soirée avait été une soirée normale parmi tant d’autres ? Oui, bien sûr, parce que peu importait ce qu’il se passait ce soir, j’avais décidé de revenir auprès de lui. Alors que je m’excusais auprès de Senthil pour cette « pause forcée », il me fit taire en posant un doigt sur mes lèvres. Un sourire amusé se dessina sur mon visage...même dans le noir, il visait bien.

- Moi aussi j’ai eu peur….c’est plutôt paradoxal quand on y pense vu que c’est moi qui ai demandé cette pause, mais j’avais peur que pendant ce laps de temps, tu décides que finalement que je ne valais pas le coup et que tu ailles voir ailleurs.

Nous sommes interrompus par une annonce. J’écoute attentivement ce qu’on nous dit. Un rire amusé secoue mes épaules quand Senthil se rapproche de moi.

- Ouais, tu as toujours été quelqu’un de très obéissant. Et on en était, et bien….

Je passe mes bras autour de sa taille et je n’ai pas le temps de terminer ma réponse que ses lèvres sont sur les miennes. Je prolonge tendrement son baiser. C’est le moment que choisit quelqu’un pour nous bousculer. Heureusement, Senthil me rattrape avant que je ne me rétame par terre.

- Peut-être oui.

Je réfléchis quelques instants, puis quelque chose me revint en mémoire.

- Dis-moi, ce n’est pas que j’ai spécialement envie de le revoir, mais ton pote là...il était là ce soir...tu l’as vu ? Réalisant la stupidité de ma question, je précise un peu. Enfin je veux dire, tu réussis à l’apercevoir grâce aux lumières des téléphones ?

J'aurais voulu que le monde s'arrête vraiment, qu'on reste là, rien que tous les deux. Ou alors, qu'on puisse rentrer chez nous, et déplacer le canapé contre la fenêtre pour regarder la neige tomber, dans les bras l'un de l'autre. Dans un autre moment, peut-être que j'aurais plutôt pensé à prendre des photos pour mes frères, ou je ne sais quoi, mais là... il n'y avait plus que lui, que nous, qui comptaient.

Enfin, du moins dans mes pensées, et j'espère dans les siennes aussi. Malheureusement, nous n'étions ni seuls, ni dans de bonnes dispositions par rapport à la météo. Peut-être pour le mieux, peut-être pour le pire...

En tout cas, j'arrive à le garder près de moi, ce qui est déjà une grande victoire en soi. Déjà parce que l'objectif de la soirée, à savoir le reconquérir, est atteint, mais aussi et surtout parce que... ce que les gens peuvent avoir des réactions incompréhensibles, dans la panique !

Je ne crois pas qu'on était dans la plus mauvaise des places, on n'a finalement pas été bousculé plus que ça, ou moins que d'autres, apparemment. Je faisais la moue en entendant Cam parler de Knox - non pas, que, contrairement à lui, je n'ai pas envie de le voir, mais comment lui a-t-il pu faire attention à ça et pas moi ?

Dans d'autres circonstances, j'aurais peut-être pu faire semblant d'être jaloux ou quelque chose comme ça, mais l'humeur du moment n'était pas à ça. C'est là que justement, une bonne grosse lumière de flash arrive dans la tronche du loup dont on parlait. Éclairé comme ça en tout cas, lui ne pouvait certainement rien voir. Je ricane un peu, même si dans ma tête je pense quand même "le pauvre".

Je me tourne tout de même d'abord vers Cameron, pour l'embrasser sur la joue à la volée, histoire qu'il comprenne que je ne l'oublie pas, avant de lui lâcher une main (je garde l'autre, non mais!) pour m'approcher le plus possible de Knox tout en lui tendant l'autre pour l'aider à se relever.

- Hey mec ! Je parie que tu te relèveras pas, de celle là !

Même si la soirée a un peu tourné en « eau de boudin » comme on dit, elle aura au moins le mérite de nous réconcilier Senthil et moi et je crois que je n’ai jamais été plus heureux que maintenant. Les nuages noirs sont derrière nous à présent. Oh bien sûr, on aura encore certainement des disputes, mais le plus gros secret qui pesait sur notre couple est à présent dissipé et je me sens tellement mieux, tellement plus léger. L’accepter et lui pardonner n’a pas été facile, mais il le mérite, notre histoire le mérite, ça aurait été idiot de ma part de tout gâcher pour un problème d’ego mal placé. Après notre baiser, je pris tout de même le temps de murmurer quelques mots.

- Plus de secrets entre nous à présent.

Avant de déposer un nouveau baiser sur ses lèvres et...d’évoquer son pote. Non pas que cela me plaisait, mais je savais que Senthil serait content de savoir si son pote allait bien ou pas. Je ne pouvais pas voir la tête que faisait mon homme, et comme en plus il ne dit rien, cela ne m’aida pas à savoir s’il l’avait vu ou non. J’allais parler à nouveau lorsqu’un cri de douleur retentit près de nous. Je tourne la tête juste à temps pour voir le fameux pote de Senthil se faire « flasher ». Senthil embrassa ma joue et aida son ami à se relever. De mon côté, je me tenais près de Senthil, mais je ne disais rien. Même si j’avais voulu, je n’aurais pas pu m’éloigner, Senthil tenait une de mes mains. Bien sûr je plaisantais, je n’avais pas du tout l’intention de m’éloigner. Maintenant que j’avais récupéré Senthil, que nous étions de nouveau officiellement ensemble, je n’avais plus l’intention de le laisser s’éloigner de moi. Joueur, je ne peux m’empêcher de déposer un léger baiser dans le cou de mon homme tandis qu’il discute avec son pote. Bah quoi ? J’ai toujours été très tactile et puis, il faut bien que je m’occupe. N’ayant pas un mauvais fond, je regardais le pote de Senthil.

- T’as besoin d’aide pour qu’on te dirige ? Ouais, enfin pas là, parce que même nous on ne voit pas grand-chose, mais avec le flash que tu t’es pris dans la mouille, ta vision ne doit pas être top.