siblings : children of the same parents, each of whom is perfectly normal until they get together
with @Lana Williams, @Wilfried Williams & @Derek WilliamsT’es encore au poste, Derek. Un dimanche de Super Bowl, un début d’après-midi, alors même que les 49ers de San Francisco se sont hissés jusqu’en finale et que toute la ville n’attend que de fêter leurs futurs champions, même si l’espoir de battre les Chiefs du Kansas n’est pas partagé par tout le monde. Toi ? T’es penché sur un dossier que t’as pas eu le temps de finir la veille, et tu t’es dit que la meilleure façon de passer ton dimanche matin était encore de travailler, parce que t’avais rien de mieux à faire. Parce que l’idée d’aller voir tes parents et le reste de la famille plus tôt ne semblait même pas envisageable.
Les souvenirs de Thanksgiving et Noël surplombent celui du dernier Super Bowl que tu avais partagé en famille, et qui pourtant, il y a quatre ans, opposait les deux mêmes équipes. C’t’une drôle de coïncidence qui fait son effet aussi, mine de rien. Tu freines des quatre fers à l’idée d’y aller, tu repousses autant que possible ce moment où tu te lèveras de ton bureau pour rejoindre ta moto sur le parking. T’en es à relire une quatrième fois le même rapport, sans même t’en rendre compte. C’en devient ridicule.
Speedy avait tiré sur la corde sensible il y a quelques jours. Sara, comme chaque année, attendait impatiemment ce moment. Et vous étiez tous conviés, comme toujours. Tu n’y avais échappé, ces 28 dernières années, que parce que tu n’étais pas là. Mais le niveau de votre amour pour le football n’avait aucune importance. C’était la tradition, l’évènement, plus que le sport, qui importait. C’était le partage, la nourriture, l’attente des nouvelles pubs commerciales, des nouveaux trailers de films, du spectacle de la mi-temps, de l’effervescence américaine dans toute sa splendeur, qui pour votre petite famille hétéroclite, importait à la fois tant et si peu…
C’était le sourire de votre mère qui comptait. Rien d’autre. Cette année plus que toute autre. Et quand ton téléphone vibre une cinquième fois sur la table, tu sais qui c’est et pourquoi. Tu regardes l’heure et tu soupires, avant de répondre à ta plus jeune soeur que non, tu n’as pas oublié. Oui, tu peux passer racheter de la moutarde parce que Speedy l’a oubliée (mais tu en profites pour apprendre qu’il a fait d’autres folies aujourd’hui). Et enfin, non, bien sûr que t’es pas au boulot, ce serait totalement malsain de travailler sept jours par semaine, pas vrai ?
T’as même fait l’effort de prendre un des maillots de l’équipe juste pour faire plaisir à ta mère, que tu enfileras plus tard par dessus un t-shirt beige à manches longues que t’as remontées jusqu’aux coudes. Mais pour l’heure, c’est ton veston en cuir et ton casque que tu viendras enfiler, pour te diriger vers le supermarché puis la maison familiale.
Et si t’as la clé en cas d’urgence, tu préfères toujours sonner quand tu te retrouves devant la porte de la maison de ton enfance. C’est pourtant pas Lana que tu t’attendais à voir apparaître de l’autre côté, et t’es un peu surpris. Pas par l’air impassible qu’elle tente de conserver en te voyant, mais par le câlin qu’elle t’offre quelques secondes plus tard à peine. Câlin que tu t’empresses d’accepter, bien sûr. T’es pas assez bête pour la repousser quand cette petite furie daigne faire la paix, même si c’est temporaire. T’écartes juste le casque et tes bras de son chemin, et lui rend une étreinte fraternelle. Pas trop intense. Mais qui t’as manqué quand même, depuis le temps…
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Ah, c’est lui… J’ai hésité à appeler les pompiers en arrivant en vue de la maison. Mais Crystal m’a prévenu. Elle m’a dit que vous étiez en manque de moutarde aussi. Tu entres, dans le vestibule de cette grande et vieille maison, mais qui t’inspire directement sécurité et tranquillité. Tu vas pour poser le casque sur le meuble dans l’entrée… avant de le planquer dans l’armoire, comme ta veste de moto. Ca n’sert à rien d’inquiéter maman, pas vrai ? Ca fait dix ans que t’en fais, mais autant pas ramener le sujet sur le tapis aujourd’hui. Restons positifs. Souriants. Tout va bien.
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Bien. Ca va. J’ai repris le boulot. Et toi ? Toujours aussi loquace comme grand frère, mais tu l’observes avec un regard qui peut faire penser aux parents parfois. Elle a grandi Lana, en quatre ans. Elle ressemble plus à cette tout juste jeune femme de 18 ans que t’as laissée sur le pas de cette porte, à l’époque. Tu sors la moutarde de ton sac, deux sortes différentes, parce que tu sais qu’il y a des préférences dans la famille. T’as pas oublié.